mercredi 15 juillet 2009

Quel temps faisait-il à l'époque des Incas

Nous sommes à Cusco (Pérou) depuis quelques jours et recherchons avec difficulté des scientifiques qui pourraient nous éclairer sur la façon dont les Incas trouvaient et exploitaient les métaux, dont l’or. En vain. Connaissant notre projet, Yves, notre hôte qui est aussi guide dans la région de Cusco et de la vallée sacrée, nous livre des informations passionnantes sur un site Inca qu’il connaît bien : Choquequirao, qui signifie « Berceau de l’or » en langue quechua (voir l’article associé). Quelques jours plus tard, Yves nous alpague : « Au fait, je connais un géologue qui travaille sur un site au Pérou. Il loge ici en ce moment, je peux vous le présenter si vous voulez car son travail pourrait vous intéresser pour votre projet. » C’est ainsi que nous avons rencontré Alex.


Alex, c’est un anglais comme on les aime… avec un enthousiasme débordant, le fameux accent british qui nous laisse toujours sous le charme, sous des allures de chercheur déjanté aux cheveux en pagaille.



Après lui avoir décrit dans les grandes lignes le principe de la Géoroute Andine, nous questionnons Alex sur son métier et ses travaux au Pérou. Alex s’avère être un scientifique multidisciplinaire puisqu’il se décrit comme naturaliste et a une formation à la fois de zoologiste et de paléontologue !

« Je suis en train de finir un article qui défend l’idée que l’empire Inca s’est développé grâce à un réchauffement climatique. Ce changement de climat leur ont permis d’augmenter la surface de terres agricoles en utilisant les zones de plus hautes altitudes. »

Notre curiosité est de suite attisée. Comment Alex sait-il que le climat s’est réchauffé à l’époque des Incas ?


« En fait, c’est simplement une histoire de pollens et d’acariens fossiles. Je travaille sur une carotte de sédiments lacustres prélevée dans le petit lac de Marcacocha (Pérou) situé à 3350 m d’altitude dans une zone de pâturages. Même en période sèche, ce lac n’est jamais asséché puisqu’il collecte les eaux de glacier. Ainsi, nous avons un enregistrement continu des sédiments au cours du temps. Dans ces sédiments, dont les différents niveaux ont été datés, je traque les pollens fossiles et les graines qui sont un bon indicateur de l’environnement végétal et des cultures agricoles, et donc des variations du climat. En effet, certains types de végétation ne poussent que sous certains climats. (Par exemple, la végétation du massif du Jura, où le climat est continental, est essentiellement constituée de résineux et n’est pas la même que celle de la Bretagne, où le climat est plus clément, essentiellement constituée de feuillus.) Ainsi, la présence de pollens d’une espèce d’arbre dans un sédiment d’âge donné montre la présence de cet arbre à cette période, ce qui fournit une bonne indication sur le climat de l’époque qui était favorable au développement de cet arbre. Je cherche également des indices de l’activité humaine comme par exemple les charbons qui nous disent si des brulis (technique supposée de fertilisation du sol très utilisée au Pérou et en Bolivie) ont été pratiqués. Et puis, en faisant ces analyses, je suis tombé par hasard sur des squelettes d’acariens » nous explique Alex.


Lac de Marcacocha (extrait de l'article d'Alex)

Exemple de pollens actuels et de pollens fossiles

« Des acariens !! Mais que t’apportent-ils comme informations sur les incas ou le climat ? » Lui demandons-nous, surpris et curieux de sa réponse.

« Eh bien, les acariens se nourrissent de débris végétaux présents dans les excréments d’animaux, comme par exemple les lamas. Quand les lamas sont nombreux, la quantité d’excrément augmente et, par conséquent, la population d’acariens croît. Comme le lac de Marcacocha est entouré de pâturages, il devait être un lieu de repos, comme une oasis, pour les caravanes commerciales qui acheminaient les feuilles de coca et le maïs, entre autres, entre Cusco, le centre névralgique de l’empire Inca, et l’Amazonie. »



Alex et ...un acarien


Exemple de transport avec des lamas


« Si nous comprenons bien, grâce à la présence ou non de pollens et d’acariens, tu peux connaître les activités commerciales et agricoles des humains, et les corréler dans le temps avec un climat particulier ? »

« Exactement ! » nous répond Alex. « Grâce à tous ces indices, nous pouvons raconter l’histoire de ce lac et des populations qui vivaient autour ! Par exemple, entre 880 et 1100 ans, avant la civilisation inca, la présence de certains pollens suppose que le climat était aride. Puis entre 1100 et 1400 ans, l’augmentation de pollen d’aulne indique un réchauffement du climat, puisque ces arbres ont pu pousser à cette altitude. De plus, grâce à la présence de charbon, on pense que l’agriculture a commencé à se développer aux alentours du lac à cette époque. Entre 1400 et 1540 ans, les températures semblent rester stables et chaudes, permettant un développement de l’agriculture. Et dans cette période, on observe également une augmentation d’acariens fossiles dans les sédiments, laissant supposer que le passage de caravanes commerciales le long du lac a augmenté. Ainsi, l’augmentation des activités agricoles et commerciales ont été contemporaines d’un réchauffement climatique. En revanche, après 1500 ans, le nombre d’acariens et le pollen d’aulne trouvés dans les sédiments chutent. Cela signifie que la fréquence des caravanes commerciales a diminué et que l’environnement végétal a changé. Or, c’est à cette époque que les conquistadors espagnols sont arrivés et que l’empire Inca a commencé à s’effondrer avec l’histoire que nous connaissons. De plus, de nombreux incas ainsi que beaucoup de lamas sont morts de maladies importées par les espagnols, ce qui peut expliquer la baisse des activités agricoles et commerciales. »


Puis, Alex rajoute : « Ce qui est aussi très intéressant, c’est la façon dont les incas utilisaient leurs connaissances agricoles pour s’adapter au changement de climat. Les études scientifiques, notamment grâce aux pollens fossiles, montrent qu’ils utilisaient des techniques d’agroforesterie. Lorsque le climat est devenu plus chaud, ils ont colonisé des terrains à plus haute altitude pour l’agriculture et ont planté des arbres adaptés au climat afin de soutenir le sol défriché et faciliter un bon drainage d’eau dans les sols. C’est quand même une belle leçon pour nous qui avons tendance à raser les forêts pour cultiver de façon intensive les sols ! »

« C’est aussi une leçon à retenir pour notre avenir avec le changement de climat annoncé ! Reste à voir si nous aurons l’intelligence de changer nos comportements et si nous saurons nous inspirer de la sagesse des civilisations comme celle des incas… »

Une fois encore, nous sommes éberlués par la connaissance des incas de leur environnement et la façon dont ils savaient s’adapter à la nature. Nous sommes aussi fiers que des outils utilisés en géologie puissent servir pour des études archéologiques, comme celle d’Alex, qui à la fois éclaire notre passé par la découverte des connaissances de civilisations anciennes, et pourrait éclairer nos lanternes pour s’adapter aux incertitudes futures.


Un grand merci à Yves (Casa Elena, Cusco) pour toutes les informations sur les sites incas et tous les contacts, qui nous ont permis de redécouvrir cette civilisation et son ingéniosité technique face au changement de climat et au risque sismique, entre autres…